A l'intérieur du cachot de glace du Thorial, à l'abri des courants d'air qui provenaient des accès de surface, la température était relativement agréable et constante.
Les gardes princiers avaient enfermé les condamnés dans une vaste cellule, séparée en deux parties par une cloison translucide. L'éclairage se limitait à une seule bulle-lumière fatiguée dont les rayons ne parvenaient pas à débusquer les ténèbres tapies sous les plafonds et dans les angles des murs. Un paravent sommaire isolait très mal, c'est pourquoi Jek, extrêmement pudique, préférait garder pour lui le contenu de sa vessie et de ses entrailles un espace qu'un garde avait pompeusement appelé les « toilettes de ces messieurs-dame » et qui n'était en fait qu'un trou aux bords inclinés pratiqué directement dans le plancher de glace.
San Francisco et Phœnix s'étaient retirés dans la pièce du fond. Le petit Anjorien, assis sur l'une des couchettes de bois brut, dépourvues de matelas, percevait leurs soupirs étouffés et se demandait ce qu'ils étaient en train de fabriquer. Sa curiosité était d'autant plus vive que les longs gémissements qui s'exhalaient de la bouche de Phœnix s'apparentaient aux plaintes d'une suppliciée. De temps à autre, il tournait ses regards vers la cloison et apercevait, au travers de la mince épaisseur de glace, les taches brunes et noires de leurs corps et de leurs chevelures emmêlés. Un moment, n'y tenant plus, il s'était levé de sa couchette et s'était dirigé vers l'étroite ouverture qui reliait les deux pièces, mais Robin de Phart lui avait saisi le poignet et lui avait ordonné de ne pas déranger les deux Jersalémines.
« Ils ne se sont pas vus depuis plus de vingt ans, avait chuchoté le vieux Syracusain. Et... euh... une femme et un homme, lorsqu'ils s'aiment et qu'ils se retrouvent après une aussi longue absence, ils ont envie de... eh bien, d'être seuls... Il ne leur reste que très peu de temps pour exprimer leur amour. Ces quelques heures leur appartiennent... »
Bien que Jek n'eût pas compris grand-chose dans le discours confus de Robin, il lui avait obéi, au nom de la sagesse que l'on prête généralement aux anciens. Il y avait une certaine soif de connaissance dans le désir qui poussait Jek à se rendre dans l'autre pièce et à observer un homme en train de faire du mal à une femme au nom de l'amour il avait déjà surpris ce genre de lamentations en passant devant la porte de la chambre de p'a et m'an At-Skin, mais jamais il n'avait osé entrer, de peur de découvrir sa mère mutilée, ensanglantée , il y avait également et surtout la peur du monstre caché de Marti, dont les yeux luisants, des yeux immobiles et attentifs de prédateur, ne cessaient de le dévisager.
Jek refusait catégoriquement de se laisser envahir par le sommeil. Il tentait de prolonger l'état de veille en se raccrochant à des pensées, à des souvenirs, secouait de temps en temps ses épaules et ses membres las, s'efforçait de maintenir ouvertes ses paupières de plus en plus lourdes. En revanche, il voyait avec effroi Robin de Phart dodeliner de la tête, et il craignait de se retrouver subitement seul face à Marti.
Alors il décida de faire parler le vieux Syracusain. « Robin, tout à l'heure, tu as dit à San Frisco que tu avais lu un livre antique... C'est quoi, ce livre ? »
La" question tira de sa torpeur Robin, surpris (et flatté) de l'intérêt de Jek pour ses divagations d'érudit.
« Il contenait une mappemonde et un texte qui donne un éclairage insolite sur la Jer Salem céleste et sur les planètes de l'univers connu, mais cela reste une simple théorie, Jek...
C'est quoi, une théorie ?
Une hypothèse, un montage intellectuel, quelque chose qu'on ne peut pas vraiment vérifier... J'avais entendu parler d'une bibliothèque extraordinaire sur N-le Mars, l'une des premières planètes colonisées...
Une quoi ?
Une bibliothèque, une pièce où sont entreposés d'antiques livres-papier... Je me suis donc rendu à N-le Athena, la capitale du continent N-le Afrisie, où j'ai été reçu par un conservateur. Il m'a expliqué que ses lointains prédécesseurs avaient mis au point une technique de conservation du papier, si bien que la bibliothèque recense des livres vieux de plus de six mille ans... Six mille ans, tu te rends compte, Jek ? De précieux témoignages de l'histoire de l'humanité ! Le conservateur m'a autorisé à passer trois jours à l'intérieur de la salle des livres. Trois jours, un laps de temps dérisoire pour prendre connaissance de milliers et de milliers d'ouvrages, rédigés pour certains dans les langues terriennes mortes, pour d'autres dans des versions primitives du nafle interplanétaire, pour d'autres enfin, dans des dialectes parlés par une poignée de peuplades dispersées... »
La voix de Robin prenait de l'ampleur au fur et à mesure qu'il progressait dans son discours, comme s'il puisait une flamme nouvelle dans chacun des mots qui sortaient de sa bouche. Tout en l'écoutant d'une oreille distraite, Jek jetait de fréquents coups d'œil sur Marti, assis sur une couchette opposée à la sienne et dont l'étrange fixité le faisait ressembler à un robotomate déprogrammé. Les soupirs et les gémissements de Phœnix et San Francisco avaient cédé la place à des chuchotements et des rires étouffés. La jeune femme semblait plutôt heureuse d'avoir été malmenée par le prince des Américains, et cette constatation rassura Jek sur la santé mentale des adultes qui se livraient au jeu de l'amour. M'an At-Skin pouffait probablement de la même manière que Phœnix après que p'a lui avait fait du mal. Etait-ce vraiment du mal ? La différence principale entre les amoureux et les suppliciés, c'était que les suppliciés, eux, n'avaient jamais envie de rire. P'a... m'an... Jek avait l'impression qu'ils n'avaient jamais existé, qu'ils n'étaient que des personnages issus de son inconscient. Il doutait même de la réalité d'une planète nommée Ut-Gen, d'une ville nommée Anjor, d'un ghetto souterrain nommé le Terrarium Nord, d'un vieux quarantain nommé Artrarak...
« Pendant deux jours et demi, j'ai feuilleté des livres en me fiant uniquement à leur titre, du moins à ceux que j'étais en mesure de traduire. La plupart d'entre eux n'offraient aucun intérêt pour l'ethnosociologue que je... que j'étais. Ils racontaient pratiquement tous la même histoire, à quelques variantes près : la légende n-le-martienne du Chevalier des Etoiles et de la princesse Azaphée, la vingt-neuvième fille du roi Kaminos. Et puis, au crépuscule du troisième jour, j'ai été attiré par un gros livre couvert de poussière et que je n'avais pas remarqué jusqu'alors. Le titre en était : Contes et Légendes de notre mère la Terre...
Encore et toujours des légendes ! soupira Jek.
C'est également ce que je pensais lorsque j'ai vu ce livre : encore et toujours des légendes ! Cependant, peut-être parce que c'était l'ouvrage le plus ancien de la bibliothèque, je l'ai consulté jusqu'au bout. Il avait été imprimé en l'an 1002 de notre ère, alors que les vagues de colons déferlaient encore sur les planètes de l'univers connu. Certains contes se déroulaient sur la Terre des origines et racontaient de manière imagée la terrible Guerre des Pensées qui mit fin à la civilisation de l'Homo sapiens...
C'est quoi, une omosapiense ? »
Robin libéra un rire frais comme une eau de roche.
« L Homo sapiens, en deux mots... Cela signifie l'homme sage, qui d'ailleurs n'était pas aussi sage qu'il se prétendait puisqu'il s'est ingénié à détruire sa planète. Çà et là, je devinais des coïncidences troublantes entre la mappemonde, les ourates les paragraphes du texte et certaines thèses historiques. La naïveté de ces légendes me confortait dans l'idée, combattue par beaucoup d'historiens modernes, que les humanités étaient originaires d'un seul monde et qu'à la suite d'une catastrophe la Guerre des Pensées elles avaient essaimé dans l'univers à bord d'immenses vaisseaux de fer... »
A cet instant, San Francisco et à Phœnix sortirent de la pièce du fond et vinrent s'asseoir sur une couchette libre. Il avait passé sa cape, et elle son manteau d'oursigre, mais, à en juger par leurs jambes nues et par les bandes de peau cuivrée que dévoilaient les échancrures de leurs vêtements, ils ne portaient rien en dessous. Des cernes profonds soulignaient les yeux de la jeune femme, agrandis par la fièvre, et un ineffable voile de langueur s'était posé sur ses traits délicats. Comme la femme vaincue par les baisers de son compagnon dans le tube souterrain d'Anjor, elle était particulièrement belle dans la défaite. Du coin de l'œil, Jek entrevit les courbes adorables de sa poitrine qu'épousaient des mèches de ses longs cheveux, et il en fut à la fois troublé et définitivement réconcilié avec la nécessité du mal d'amour.
« J'espère que nous ne vous dérangeons pas, dit San Francisco à l'adresse de Robin. Mon cœur n'a pas laissé le temps à ma tête d'en apprendre davantage sur le livre dont vous m'avez parlé tout à l'heure...
Vous êtes ici chez vous, prince ! s'exclama le vieux Syracusain, intérieurement ravi.
Ni mon cœur ni ma tête ne reconnaissent comme miens ceux qui ont condamné mes invités, dont un enfant, à mort ! lâcha le Jersalémine d'une voix sourde.
Votre civilisation est peut-être fondée sur une imposture, reprit Robin après un petit moment de silence. Vos prétendus territoires de la Jer Salem céleste ne sont en réalité que les anciens pays de la Terre d'origine, de Terra Mater. Ainsi, Phœnix et San Francisco sont des noms de villes qui ont existé, si j'en crois la mappemonde détaillée du livre de la bibliothèque de N-le Athena, il y a plus de huit mille ans de cela. L'une se situait à l'ouest d'un pays nommé Etats-Unis d'Amérique, et l'autre au sud-ouest de ce même pays. J'avais fini par oublier le livre de N-le Athena, la mappemonde et la légende s'y référant, mais devant le globe sacré, et bien que la mémoire des vieillards connaisse, hélas ! quelques défaillances, tout m'est peu à peu revenu...
Vous avez dit que ce livre avait été imprimé en 1002, or, selon le registre des exégètes, nos ancêtres se sont installés sur Jer Salem en l'an 9 de notre ère, dit San Francisco. Il y a donc de fortes probabilités que le cartographe de ce livre se soit inspiré du globe sacré...
J'ai pris cette éventualité en compte, prince, mais plusieurs arguments m'ont amené à l'éliminer : d'une part, on retrouve certains des mots inscrits sur le globe sacré dans le langage, dans les chants traditionnels et dans la mythologie des peuplades aussi anciennes que le peuple élu et qui n'ont pas eu de contact avec quelque civilisation extérieure que ce soit avant l'an 5000. Ce sont des souches qui ont vécu en totale autarcie pendant plus de cinquante siècles, ce qui revient à dire qu'elles n'ont pu s'inspirer ni de la Bible ni du Globe. Des tribus à peau noire de Platonia invoquent par exemple Africa, l'Afrique, le pays de leurs origines, lequel est l'un des trois continents de la Jer Salem céleste. Pour les Ja-Hokyoïstes des mondes du Levantin, le paradis post mortem porte le nom d'empire du Soleil-Levant, l'autre dénomination du Japon, l'île la plus orientale du globe sacré... Et je pourrais citer de nombreux exemples. D'autre part, je crois que l'abyn Elian, l'homme qui guida le peuple de Phraël sur Jer Salem, et Bertelin Naflin, l'homme qui fonda la Confédération de Naflin, ne forment qu'une seule et même personne... »
Phœnix se redressa et fixa Robin de Phart d'un air presque farouche. Jek fut traversé par une envie violente d'aller se glisser dans l'échancrure du manteau de fourrure de la jeune femme et de se pelotonner dans la chaleur de sa poitrine.
« Sur quoi vous basez-vous pour affirmer cela ? demanda-t-elle.
Sur rien de très concret, je dois l'avouer... Bertelin
Naflin fut celui qui rassembla des milliers de Terriens à l'intérieur d'un vaisseau et qui, le premier, tenta l'aventure spatiale. Il est fort possible que le nom d'Elian et le titre d'abyn lui aient été donnés au cours du voyage par la faction religieuse dominante, celle qui se référait à l'ancienne Bible de Terra Mater et qui se proclamait le peuple élu. Quelques paragraphes des légendes du livre de N-le Mars évoquent cet épisode : Il advint que l'Afrisien, le pionnier de l'espace, le fondateur des humanités des étoiles, fut pris à partie par le clan dominant de Cion autre nom de Phraël, n'y a-t-il pas des filles d'Ession sur Jer Salem ? et contraint de porter le titre de prêtre. Il advint que le clan dominant de Cion éjecta dans le vide les hommes qui refusèrent d'adorer leur livre saint la Bible de Terra Mater et que l'Afrisien se résolut à le punir de sa méchanceté. Ainsi il endormit les justes de Cion avec des gaz qui provoquent le sommeil et les entassa dans une dérive de secours. Il leur fit don d'une image holographique de la Terre pour qu'à chaque seconde de leur existence ils se souviennent de leur bassesse et programma la dérive pour une petite planète couverte de glaces Jer Salem. Puis l'Afrisien poursuivit son voyage vers les mondes du centre où il apporta la magie du verbe des Inddivedas... J'ai cité de mémoire... L'Afrisien en question, c'est sûrement Bertelin Naflin, le descendant du fondateur de l'Afrisie, et les Inddivedas la science inddique dont Aphykit, la fille de mon ami Sri Alexu, est la dernière dépositaire... Ce raisonnement ne prétend pas à la perfection, mais il a le mérite ou l'excuse de présenter une certaine cohérence. Les Jersalémines des premiers temps ont dressé un globe et des cartes d'après les données de l'image holographique dont parle la légende, une image qui s'est peut-être détériorée pendant le voyage, ce qui expliquerait pourquoi vos ancêtres n'ont pris en compte que quarante pays des plus de cent cinquante d'origine. De tout cela, je conclus que la Jer Salem céleste n'est rien d'autre qu'une reproduction tronquée de Terra Mater, la Terre des origines... Veuillez m'excuser, un besoin pressant... Les fonctions de la vessie des vieillards sont inversement proportionnelles à leur activité cérébrale : elles ont tendance à s'accélérer avec le temps... »
Il se leva et se glissa derrière le paravent de bois.
Pendant qu'il se soulageait, San Francisco et Phœnix, troublés par sa démonstration, demeurèrent silencieux, songeurs. Jek craignit qu'ils ne s'en retournent immédiatement dans leur pièce pour un nouvel affrontement d'amour et ne le laissent seul avec Marti, toujours immobile sur sa couchette, mais la jeune femme relança Robin aussitôt qu'il revint s'installer sur son lit de bois, situé à côté de la porte blindée de la cellule.
« Votre hypothèse ne nous éclaire guère sur le rôle des migrateurs célestes...
Les xaxas... soupira Robin. Avant de découvrir le Globe, je n'avais pas remis leur existence en cause. Mais à présent, j'avoue que j'ai des doutes. Sont-ils réels ? S'agit-il de simples croyances issues de l'inconscient collectif ?
Ils sont aussi réels que vous et moi ! affirma la jeune femme. Mes yeux ont vu trois d'entre eux congelés dans la muraille du cirque du Golan. Comme je vous vois. Or vous n'êtes pas un produit de l'inconscient collectif !
Même en tant que prince gouvernant de la tribu des Américains, je n'ai jamais été informé de la présence de ces trois migrateurs célestes dans la paroi d'un glacier ! s'étonna San Francisco.
L'Ancien a bien voulu me raconter leur histoire. Ce sont trois chasseurs de la tribu des Espagnols qui, en l'an 6700, les ont découverts à la suite d'un brusque mouvement de la croûte planétaire. Les abyns ont immédiatement mis à mort les trois Espagnols et déclaré le cirque du Golan zone taboue.
Pour quelle raison ? intervint Robin. Ces xaxas prisonniers des glaces constituaient une preuve formelle des promesses de la Nouvelle Bible...
Ils risquaient justement de devenir les rivaux des abyns, souligna San Francisco. Le peuple élu se serait rapidement débarrassé du joug abynien et aurait fondé un nouveau culte sur les migrateurs célestes... »
Robin se releva une seconde fois, mais il ne se dirigea pas vers le paravent, il marcha de long en large entre la porte blindée de la cellule, les couchettes de bois et l'ouverture de la cloison. Il n'avait plus du tout envie de dormir.
« C'est comment, un xaxas ? » demanda Jek à Phœnix.
La jeune femme sourit au petit Anjorien, qui dut se retenir pour ne pas aller se jeter dans ses bras. Il aurait tant aimé avoir une mère comme elle, même pour quelques minutes.
« Long, brun, et tellement replié sur lui-même qu'on ne distingue pas grand-chose : une carapace épaisse et brune, des cristaux, une tête en forme d'obus, une queue en éventail, les membranes repliées des ailes...
Reste maintenant à savoir s'ils sont vraiment équipés pour transporter des humains, murmura Robin. Et si oui, sur quel monde ils les déposeront... Une expérience que j'aurais volontiers tentée, mais les abyns en ont décidé autrement. Je ne serai qu'une victime de plus de l'éternelle opposition entre la religion et l'esprit scientifique, entre le dogme et l'expérience. Pour ce qui me concerne, il n'y a rien de bien tragique dans cette condamnation : l'aile de la mort s'est déjà posée sur moi, et personne ne m'attend. Mais pour vous, pour eux... »
Il désigna Jek et Marti d'un mouvement de menton.
San Francisco repoussa Phœnix, se laissa tomber de la couchette et vint s'agenouiller devant Jek.
« Mon cœur saigne et me supplie de te demander pardon, prince des hyènes, souffla le Jersalémine. Je maudis le fol orgueil qui m'a poussé à vouloir interférer dans ton destin. Sans moi, tu serais resté avec le viduc Papironda, tu aurais sûrement trouvé le moyen de lui échapper et de poursuivre ta route... Je croyais être le serviteur des dieux, je n'ai été que l'instrument de l'esprit du mal...
Les oursigres des neiges ne nous ont pas encore mangés, bredouilla Jek, gêné par l'attitude de San Francisco, un homme droit, généreux, qui ne méritait nullement les reproches dont il s'accablait.
Je ne parle pas des oursigres. Tu peux sûrement les vaincre comme tu as vaincu les hyènes du désert nucléaire d'Ut-Gen... Je parle du froid : ils nous dévêtiront entièrement avant de nous jeter dans le cirque des Pleurs. Phœnix et moi te couvrirons de nos corps, mais ils se transformeront très rapidement en blocs de glace... J'ai assisté à plusieurs exécutions en tant que prince régnant.
Combien de temps peut-on résister au froid ? demanda Robin.
Cinq minutes pour les plus vigoureux. J'ai vu des hommes et des femmes courir ou sautiller sur place pour retarder l'échéance, mais tôt ou tard le froid finissait par les agripper, remontait le long de leurs jambes, leur paralysait le bassin, les poumons, le cœur, les bras, le cou, la tête, et ils s'effondraient comme des pierres sur la banquise...
Et qu'advient-il des corps ?
Les oursigres s'en chargent. Ils les poussent d'abord avec leurs pattes antérieures jusqu'à leur repaire, les décongèlent en se couchant dessus et les dévorent... »
Une pâleur extrême glissa sur le visage du petit Anjorien, qui se mit à claquer des dents et à grelotter comme si l'évocation du supplice du cirque des Pleurs l'avait d'ores et déjà gelé. Il eut beau se recroqueviller dans son manteau de fourrure, il ne parvint pas à se réchauffer.
« M'accordes-tu ton pardon, prince des hyènes ? » insista San Francisco, levant un regard implorant sur Jek.
Phœnix vint s'asseoir à côté du petit Anjorien. Sans dire un mot, elle ouvrit largement son manteau, lui saisit la nuque puis, d'un geste doux mais ferme, l'amena vers sa poitrine et rabattit les pans de son vêtement sur ses épaules. Il put enfin reprendre vie sur les coussins tendres et brûlants de ses seins.
La respiration sifflante et régulière de Robin de Phart lacérait méthodiquement le silence. San Francisco et Phœnix s'étaient de nouveau retirés dans la pièce du fond. A l'issue d'une nouvelle salve de soupirs, de gémissements, de rires et de chuchotements, ils semblaient s'être endormis. Jek avait eu l'impression d'être brutalement chassé hors du paradis terrestre lorsque Phœnix s'était écartée de lui. Il aurait bien voulu rester plus longtemps, toute la nuit même, dans sa tiédeur, dans sa douceur, dans son ensorcelante odeur corporelle, mais elle avait choisi de partager les dernières heures de la nuit avec San Francisco. Jek n'en avait conçu aucune jalousie il ne pouvait pas éprouver de la jalousie à l'encontre de quelqu'un comme San Francisco mais il avait ressenti une immense frustration.
Il flottait entre veille et sommeil, écrasé de solitude et de tristesse. Les yeux grands ouverts et luisants de Marti étaient des taches claires aux contours de plus en plus flous. La vigilance du monstre caché ne se relâchait à aucun moment. Il guettait le premier assoupissement du petit Anjorien pour agir en toute tranquillité, en toute impunité. A quoi bon lutter ? se disait Jek lorsque le sommeil se faisait particulièrement insistant. Mourir de la main du monstre ou du froid du cirque des Pleurs, est-ce que cela faisait une différence ? Son menton retombait alors sur sa poitrine et il se laissait happer par une puissante spirale qui l'emmenait vers le pays où les pensées se transforment en rêves, où plus rien n'a vraiment d'importance. Puis, au moment où il s'apprêtait à couper toutes les cordes le reliant au monde réel, son instinct de survie prenait le relais : un sursaut brutal secouait tout son corps et sa tête se projetait vers l'avant. Il ouvrait précipitamment les paupières, se demandait pendant cinq secondes ce qu'il fabriquait dans cette pièce froide et mal éclairée, rencontrait deux éclats blancs et menaçants dans son champ de vision, se souvenait qu'il était enfermé dans une cellule du cachot du Thorial, plusieurs centaines de mètres sous la surface d'un monde de glaces, que des prêtres à la mine sévère l'avaient condamné, lui et ses compagnons de captivité, à être offerts en pâture à des animaux sauvages, que le monstre caché de Marti avait l'intention d'abréger les quelques heures qu'il lui restait à vivre... Il se rendait compte qu'il n'atteindrait jamais Terra Mater, la Terre des origines, qu'il ne deviendrait jamais un guerrier du silence, un être qui voyageait sur les pensées, qu'il avait trahi la mémoire d'Artrarak, le vieux quarantain du Terrarium Nord... Jek At-Skin l'aventurier avait présumé de ses forces, n'était pas taillé pour affronter l'univers et ses dangers. Et lui revenaient en mémoire les paroles de p'a At-Skin, ce spectre persifleur si riche en proverbes, maximes et dictons de toutes sortes : « Les enfants croient que tout est possible, les jeunes pensent qu'il leur est possible de tout faire, les adultes font de leur possible, les vieux ont l'impression d'avoir couru après l'impossible toute leur vie... »
Jek se sentait très vieux. Non seulement il avait couru après l'impossible, mais sa vessie le torturait, comme Robin de Phart. Il n'osait pas se rendre derrière le paravent de peur d'être suivi et étranglé par Marti. Les quatre petits mètres qui le séparaient des « toilettes de ces messieurs-dame » lui apparaissaient comme un trajet interminable et semé d'embûches. Et puis la pression à la fois agaçante et délicieuse de sa vessie gonflée sur son bas-ventre l'empêchait de sombrer définitivement dans le sommeil...
Voilà qu'il n'y tient plus, qu'une brusque impulsion le pousse à se lever, qu'il se dirige vers le paravent. Le regard intense de Marti lui lèche la nuque. Il contourne la petite muraille de bois. Le trou est beaucoup plus large qu'il ne l'avait imaginé. Il se bat avec son pantalon récalcitrant, les premières gouttes s'échappent avant qu'il n'ait eu le temps de déboutonner sa braguette, et son urine tiède se répand sur ses jambes. A cet instant, avant qu'il n'ait eu le temps de sortir son « petit robinet » ainsi m'an At-Skin avait-elle rebaptisé, depuis qu'elle s'était convertie au kreuzianisme, ce que les petits Utigéniens appelaient entre eux le « garou » ou encore le « petit dur » , un bras s'enroule comme une lanière autour de son cou et commence à lui comprimer la trachée-artère. Ses bras giflent l'air tandis qu'un flot puissant et continu jaillit de son petit robinet. Il perçoit le souffle de Marti dont l'avant-bras se resserre comme un filin d'acier et lui coupe la respiration. Il manque d'air, il étouffe, il veut pousser un cri, donner l'alerte à San Francisco et Phœnix, mais rien d'autre ne sort de sa gorge qu'un gargouillement pitoyable. Le genou de Marti s'enfonce brutalement dans ses reins et le pousse vers le trou. Les pieds du petit Anjorien dérapent sur les bords incurvés et glissants, perdent contact avec le sol, s'agitent dans le vide. Un voile pourpre lui tombe sur les yeux. Ainsi s'achève la pièce de sa vie. Il n'a pas le temps de saluer comme les chanteurs de l'Utigénire après leur récital, il tombe dans une fosse noire où règne une suffocante odeur d'excréments...
« Jek, mon Dieu ! » hurla Phœnix.
Poussée par une envie pressante, elle avait jeté son manteau sur ses épaules, s'était engouffrée dans l'étroite ouverture et s'était dirigée à grands pas vers le paravent. Elle avait soudain remarqué quelque chose d'anormal, s'était arrêtée et avait rebroussé chemin. Son cri réveilla San Francisco qui glissa instinctivement la main dans la poche intérieure de sa cape, étalée sur lui comme une couverture. Il poussa un juron lorsqu'il se rendit compte qu'elle était vide. Il se souvint alors que les gardes lui avaient retiré sa dague. Il sauta de la couchette sans prendre le temps de s'habiller et se rua entièrement nu dans l'autre pièce.
La jeune femme était penchée sur la couchette de Jek.
« Il est trempé de la tête aux pieds, murmura Phœnix.
Tu m'as fait peur ! soupira San Francisco. J'ai cru qu'il lui était arrivé quelque chose de grave.
On ne peut pas le laisser dans cet état. Il risque de mourir d'hypothermie avant même de sortir de la cité...
Donnez-lui mes vêtements », fit une voix morne.
Marti sortit d'un recoin sombre de la pièce et s'avança vers eux.
« Je ne crains pas le froid », ajouta-t-il en esquissant un sourire.
Bien que dissocié des implants basiques de la cuve, l'autre avait intégré les données historiques fournies par ses compagnons de captivité et s'était livré à un rapide calcul des chances de survie de son véhicule corporel. La femme jersalémine prétendait avoir vu des xaxas congelés et il n'y avait aucune raison objective de mettre son témoignage en doute. Il estimait donc à 98,25 % les probabilités d'existence des migrateurs célestes. En revanche, pour ce qui concernait la date de leur passage et leur aptitude à fournir de l'oxygène et de l'eau à leur parasite humain, deux éléments qui ne reposaient que sur une exégèse d'un livre sacré, le pourcentage tombait instantanément à 14%. Ensuite, si la Jer Salem de lumière n'était rien d'autre que la reproduction de Terra Mater (la démonstration de Robin de Phart avait été assez convaincante à ce sujet), il y avait une mince mais réelle possibilité que l'un des buts de leur migration ne soit rien d'autre que la Terre des origines, et par conséquent l'objectif final de sa propre mission : probabilités évaluées entre 1,5% et 1,9 %. Pour résister au froid, il lui suffirait d'implanter un programme d'insensibilité dans le cerveau de Marti (100 %). Enfin, il ne voyait qu'une arme à opposer aux oursigres sauvages du cirque des Pleurs : les pouvoirs d'humain-source de Jek, qui avaient déjà fait leurs preuves face aux hyènes du désert nucléaire d'Ut-Gen. Il avait donc immédiatement opté pour un nouvel aiguillage. Non seulement il devait épargner la vie du petit Anjorien, mais encore faire tout ce qui était en son pouvoir pour l'aider à survivre. Bien sûr, hormis les plus de 90 % de probabilités d'erreur sur la date du passage, le métabolisme et la destination des xaxas, il restait une inconnue : le degré de résistance de Jek au froid. Pas plus de cinq minutes pour les plus vigoureux, avait dit San Francisco, donc entre deux et trois minutes pour un enfant de huit ou neuf ans. Dès lors, il faudrait un concours de circonstances extraordinaire pour que les migrateurs célestes se posent sur le cirque des Pleurs (éloigné de plusieurs dizaines de kilomètres de leur aire supposée d'atterrissage) pendant ces deux à trois minutes-là: 0,012%... 0,058% si l'on incluait d'une part la faculté qu'avait un humain-source comme Jek de satelliser les éléments extérieurs comme les soleils capturent leurs planètes, d'autre part la fraction d'inconnu, d'impondérable, qui régissait les hommes (ce qu'ils appelaient de manière courante « intervention divine », miracle ou encore roue du destin). Quoi qu'il en fût, ce 0,012 % était supérieur au 0,004 % que lui proposait l'élimination immédiate du petit Anjorien. Il aurait été irrationnel de sa part de ne pas jouer cette infime chance à fond : au cas (très probable) où ils échoueraient, le froid se chargerait de tuer Jek à sa place. Le troisième conglomérat Harkot choisirait un nouveau véhicule humain, lui implanterait une greffe mentale autonome et le lancerait sur les traces des ennemis ultimes de l'Hyponéros.
Phœnix entreprit de déshabiller Jek. Il se réveilla, surpris de se retrouver ailleurs que dans une fosse excrémentielle. Les visages souriants de Phœnix et de San Francisco étaient penchés sur lui. Il aperçut, au second plan, Marti en train de retirer son épaisse combinaison. Il prit alors conscience qu'il avait fait un cauchemar, puis, lorsqu'il sentit l'humidité poisseuse de ses vêtements, il s'aperçut qu'il s'était oublié dans son pantalon et une vague de honte le submergea.
Les gardes princiers, vêtus de leurs épaisses combinaisons de surface et armés de fusils à propagation lumineuse, vinrent les chercher une heure plus tard, leur entravèrent les chevilles avec de courtes chaînes métalliques, les entraînèrent dans une succession de couloirs et d'escaliers, et les escortèrent jusqu'à la place du Thorial, où s'était assemblée une foule immense malgré l'heure matinale. L'accoutrement du jeune gock, habillé de ses seuls sous-vêtements de coton léger, et de l'enfant, emmailloté dans un manteau de cuir resserré par des bouts de tissu effiloché, souleva une nuée de clameurs et de rires dans les rangs de l'assistance.
Les abyns, parés des toges et des coiffures pourpres du deuil, et quelques princes, dont le prince Vancouver des Canadiens, sortirent d'une porte dérobée du bâtiment des assemblées et s'alignèrent devant les condamnés. Ils marmonnèrent entre leurs dents une incompréhensible suite de sons plus ou moins chantés qui évoquèrent à Jek les prières kreuziennes qu'expédiaient rapidement p'a et m'an At-Skin au début et à la fin des repas. Les corps figés dans les piliers du Thorial les contemplaient d'un air à la fois étonné et horrifié.
« Abyns, je vous en conjure, prenez ma vie mais épargnez celle de ces trois gocks ! dit San Francisco d'une voix forte lorsqu'ils eurent cessé de psalmodier. Ils sont venus sur Jer Salem en toute confiance et ne sont en rien responsables des fautes que vous me reprochez.
Qui es-tu pour nous donner des ordres ? rétorqua un abyn.
Ceci n'est pas un ordre mais une prière... L'Eden n 'est qu'enfer sans le pardon, dit un verset du Livre des Xaxas.
Le pardon n'est que faiblesse lorsqu'il s'adresse aux gocks, rétorqua le prince Vancouver avec un détestable petit sourire... Emmenez-les ! »
La remontée de l'artère principale d'Elian, qui s'étirait sur cinq kilomètres, prit plus de trois heures. La plupart des Jersalémines s'étaient massés dans ce boyau qui, bien que nettement plus large que les autres rues, paraissait encore trop étroit pour canaliser toute cette multitude. Les gardes princiers avançaient en rangs serrés, se frayaient le passage à coups d'épaules et de crosses de fusils, mais ils ne pouvaient ni ne voulaient empêcher les grêles de coups de poing de s'abattre sur San Francisco et sur les gocks, les mains des femmes d'agripper la longue chevelure de Phœnix, leurs ongles de creuser des sillons empourprés sur ses joues et son cou. Les condamnés affrontaient une hydre à mille têtes, à mille bras, à mille bouches, une bête féroce aux yeux étincelants de haine qui déversait sa fureur et sa frustration sur le couple maudit, sur les gocks qui avaient eu l'audace de fouler le sol sacré de Jer Salem et de profaner le temple huit fois millénaire de Salmon.
« Gocks... Gocks... Gocks... Faux frères humains... Impurs... Nés d'une semence infecte et d'un ventre putride... Reniés par le Globe... Prince félon... Putain... Puits souillé... »
Comme l'aigreur et la colère n'auraient pas cours sur la Jer Salem de lumière, où ne régneraient qu'amour, douceur et compassion, les membres du peuple élu exploitaient la dernière occasion qui leur était offerte d'exprimer des ressentiments auxquels ils étaient attachés comme à des vêtements usés, confortables, portés si longtemps qu'ils auraient eu l'impression, en les jetant prématurément, de s'amputer d'une partie d'eux-mêmes. San Francisco et Phœnix s'étaient placés de chaque côté de Jek pour le protéger des atteintes de la foule. Les courtes chaînes, dont les anneaux leur comprimaient douloureusement les chevilles, les contraignaient à progresser à petits pas. La pente de la rue allait s'accentuant et le petit Anjorien s'accrochait à la cape de San Francisco et au manteau de Phœnix pour ne pas déraper sur la glace, lisse à force d'avoir été piétinée.
Ils longèrent l'immense portail métallique et noir du Soukto, l'entrepôt où les filles d'Ession procédaient au partage des vivres et des produits de première nécessité livrés par la tribu chargée du ravitaillement. Bien qu'il fût fermé en cette heure matinale, les courants d'air colportaient des senteurs d'épices, d'herbes aromatiques, de viande séchée, de savons parfumés de Franzia... Si le temple de Salmon et le Thorial étaient le cœur et la tête de la cité d'Elian, le Soukto en était le sein nourricier, le lieu privilégié où les femmes passaient des heures à discuter et rire devant les comptoirs, où les enfants profitaient de ces instants de liberté pour courir et jouer entre les interminables rayonnages. Des images d'un lointain passé défilèrent dans l'esprit de San Francisco. Il se revit, à l'âge de six ans, grimper subrepticement sur les étagères et soulever des couvercles pour découvrir les trésors enfouis dans les caisses : des sachets de nourriture lyophilisée, des légumes congelés, des flacons de parfum, des sous-vêtements de laine, des chaussons d'intérieur, des bulles-lumière, des microsphères atomiques de chauffage, des tubes de graisse protectrice et, merveilles des merveilles, des jouets, mécaniques, électroniques, magnétiques, en attente de distribution lors des grandes fêtes annuelles de la Christ-Native. C'était le temps de l'innocence, le temps où la Jer Salem de lumière n'était encore qu'un rêve, le temps où son père, le prince Seattle, lui racontait la fabuleuse histoire des xaxas et lui inculquait les premières notions de la responsabilité princière, le temps où sa mère, Memphis, lui fredonnait les douces comptines du grand vaisseau de fer pour le rassurer et l'endormir... Le visage ensanglanté de Phœnix et les grands yeux effrayés de Jek étaient les récifs sur lesquels se brisaient ses dernières illusions. Il reconnaissait certains visages dans la mer houleuse qui l'environnait, d'anciens sujets américains, plus vindicatifs et violents que les membres des autres tribus. Il avait cru qu'il pourrait changer le cours des choses, mais au fil de ses quatre-vingts siècles d'histoire, le peuple élu s'était profondément enraciné dans la glace de Jer Salem et dans ses certitudes. La parole des abyns, les versets de la Nouvelle Bible, l'autoproclamation de sa propre supériorité sur les humanités dispersées, la perspective de l'Eden et la distribution régulière de nourriture suffisaient largement à son bonheur. Le discours égalitaire de San Francisco, prince des
Américains, n'avait convaincu qu'une poignée de contestataires, ceux-là mêmes qui s'étaient mis à son service durant son exil.
Phœnix essuya d'un revers de manche les crachats et le sang qui lui ruisselaient sur les joues et, en vain, chercha des yeux ses parents. Malgré la douleur cuisante de ses plaies, malgré le sentiment d'humiliation que lui procurait cette procession publique, elle s'évertuait à ne pas pleurer, elle fixait ses bourreaux dans les yeux, droite et fière, elle refusait de leur jeter sa faiblesse en pâture. Le bonheur bref mais intense de cette nuit valait bien toutes les promesses de l'Eden et constituait son bouclier, son armure.
Saoulés de coups et de cris, ils débouchèrent enfin sur l'aire des glacieurs de chasse, alignés au pied d'un gigantesque tube de montée à ciel ouvert.
« Je ne pensais pas que les oursigres sauvages avaient élu domicile dans la cité d'Elian ! » s'exclama Robin de Phart.
De multiples griffures sillonnaient la face blême et ridée du vieux Syracusain, ornée d'un pâle sourire.
Les deux glacieurs s'immobilisèrent à quelques mètres du bord du cirque des Pleurs, une gigantesque dépression blanche et cernée par de hautes murailles de glace. Le trajet entre la cité d'Elian et le cirque avait duré environ deux heures, et trois des quatre Farfadets s'étaient déjà déployés dans le ciel, d'un bleu clair et uniforme. Jek commençait à souffrir du froid. Il ne sentait pratiquement plus ses pieds, ses mains, ses oreilles. Les dents du vent s'infiltraient par tous les interstices du manteau de cuir mal isolé par les sangles de tissu, lui mordaient cruellement la peau.
« Il doit faire moins vingt-cinq ! avait lancé Robin quelques minutes plus tôt.
— Entre moins trente-cinq et moins quarante », avait corrigé un garde.
Ils s'étaient fréquemment retournés vers Marti, penché sur le bastingage de la poupe du glacieur, qu'ils s'étaient à tout moment attendus à voir s'effondrer sur le pont. Mais le jeune Syracusain, la tête, les pieds et les bras nus, le reste du corps protégé par une mince épaisseur de coton, n'avait paru nullement incommodé par la température polaire et les rafales de bise. Ses traits étaient restés parfaitement détendus, sereins, sa peau avait conservé sa carnation délicate et son aspect lisse, ses lèvres ne s'étaient pas couvertes de cette teinte bleuâtre qui était le lot de ses compagnons, des gardes princiers et des hommes d'équipage.
« Je ne vous connaissais pas cette insensibilité au froid ! avait hurlé Robin, dont la voix s'était envolée dans les courants d'air générés par le déplacement du glacieur.
— Que connaissez-vous de moi ? » avait simplement répondu Marti.
Seules les congères, dont certaines culminaient à plus de trois cents mètres de hauteur, brisaient la monotonie de l'immensité blanche. De temps à autre, ils avaient aperçu dans le lointain les formes mouvantes d'une horde d'oursigres sauvages, le grouillement brillant d'un troupeau de phoques argentés...
Les ancres automatiques des glacieurs, munies de crochets, s'enfoncèrent dans la langue glaciaire. Le crissement du métal sur la glace dure prenait une résonance funèbre dans le silence feutré qui planait sur la banquise. Les bourrasques d'un vent sournois soulevaient des gerbes de neige qui accrochaient des éclats de lumière avant de se disperser et d'aller s'agglutiner sur les versants des congères en formation. Les gardes descendirent par un court escalier taillé directement dans la coque des glacieurs, se disposèrent en cercle autour des appareils et braquèrent leurs fusils à propagation lumineuse sur les condamnés, toujours entravés.
« Descendez ! » ordonna l'un d'eux.
San Francisco sauta le premier sur le sol, puis aida ses compagnons à dévaler sans encombre les marches étroites de l'escalier.
« Alignez-vous devant le cirque des Pleurs !
Rien ne vous oblige à exécuter les ordres des abyns ! plaida San Francisco avec force. J'en appelle à votre générosité, à votre humanité. Laissez repartir les trois gocks et Phœnix, et faites de moi ce que bon vous semblera !
Une autre parole de ce genre, protecteur des gocks, et je te troue le cœur d'une onde lumineuse ! Aligne-toi avec les autres ! »
Jek jeta un bref coup d'œil derrière lui. Il y avait une dénivellation de plus de trente mètres entre la surface de la banquise et le fond du cirque des Pleurs. Il ne repéra aucun sentier, aucun passage apparent, aucune bouche de tunnel. Il en déduisit qu'ils seraient poussés ou contraints à sauter, ce qui revenait au même dans le vide et qu'ils se briseraient les os en contrebas. Cette sinistre perspective ne l'empêchait pas d'être étonnamment calme, comme étranger à lui-même. Il ne se sentait pas concerné par la pièce qui se jouait sur cette étendue blanche et dont il était pourtant l'un des acteurs principaux. Ressentait-on toujours le même détachement devant sa propre mort ? Il demanda au spectre de p'a At-Skin s'il avait en réserve un dicton approprié à ce genre de circonstances, mais le spectre se contenta de le regarder d'un air à la fois désolé et moqueur. Des lueurs de regrets se promenaient dans les yeux tristes du spectre de m'an. Il prit alors conscience qu'il leur avait fait beaucoup de peine et leur demanda intérieurement pardon.
Un garde sortit un trousseau de clés de sa combinaison, se détacha du cordon de sécurité et vint les désentraver. Le froid (et peut-être la peur que les condamnés, embrasés par une ultime colère, ne le saisissent par le cou et ne le précipitent dans le cirque des Pleurs) rendait ses gestes imprécis, maladroits. Il ne prit pas le temps de ramasser les chaînes lorsqu'il eut desserré le dernier anneau. Il se hâta de regagner son poste et de récupérer son fusil.
« Déshabillez-vous ! »
San Francisco lança un regard désespéré à Jek et à Phœnix. D'un geste rageur, il dégrafa le fermoir de sa cape qui glissa sur la glace dans un subtil froissement d'étoffe.
« Autorisez au moins l'enfant à conserver sa combinaison et son manteau ! » lança Marti, qui s'était déjà débarrassé de ses sous-vêtements de coton.
Le revirement d'attitude du jeune Syracusain déconcertait Jek : il semblait tout à coup décidé à lui vouloir du bien. Non seulement il n'avait pas mis à profit le sommeil du petit Anjorien pour l'étrangler, mais il lui avait donné ses vêtements dans le cachot du Thorial et voilà qu'il plaidait sa cause devant les gardes jersalémines. Marti avait-il expulsé le monstre qui se terrait au fond de lui ? Jek avait-il imaginé toute cette histoire ?
« Enfant ou pas, c'est une engeance infectée !
Quelle importance ? insista Marti. Dans quelques semaines, vous aurez atteint la Jer Salem céleste et les races infectées n'auront plus la possibilité de vous nuire...
Au lieu de faire le malin, maudit gock, aide l'enfant à se dévêtir ! S'il n'est pas nu dans les trente secondes qui suivent, je vous perfore à tous deux la tête et le cœur ! »
Probabilités de survie : 0,00001 %. Nouvel aiguillage. Marti se rapprocha de Jek, dénoua rapidement les bouts de tissu qui maintenaient fermé son manteau de cuir, lui retira ses bottes, dégrafa les boutons de sa combinaison, la fit passer pardessus sa tête.
Instantanément, un froid intense, tellement intense qu'il en devenait brûlant, saisit le petit Anjorien. Il eut l'impression d'être dépecé par des milliers de petites lames chauffées à blanc, d'être écartelé des milliers de fois. Cela montait le long de ses jambes, se nichait dans son bas-ventre, lui investissait les poumons, les épaules, les bras... Une pieuvre invisible mais terriblement efficace, qui divisait pour régner, qui séparait l'être en des milliers de parcelles inutiles, qui isolait chacune de ses cellules et les emprisonnait dans d'infranchissables gangues de glace. Jek n'osait plus esquisser un mouvement, de peur que ses bras ou ses jambes ne se brisent comme du bois sec, il n'osait plus respirer de peur que l'air ne gèle instantanément et ne lui obstrue la trachée-artère.
Une bouffée de chaleur lui envahit les épaules et le dos. Phœnix s'était collée à lui et l'avait entouré de ses bras. Les tentacules de la pieuvre se rétractaient devant la tiédeur bienfaisante, vivante, qui se diffusait des seins et du ventre de la jeune femme. L'issue du combat ne faisait cependant pas l'ombre d'un doute, car le temps jouait pour le froid, qui se faufilait partout où il dénichait des failles, par les pieds, par les mains, par les moindres lambeaux de peau offerts à sa convoitise.
« Dans le cirque ! » cria le garde.
Des rafales d'ondes lumineuses crépitèrent sur la glace à quelques pas des condamnés entièrement nus. San Francisco et Phœnix saisirent Jek par la main quelle affreuse sensation de déchirement lorsqu'elle décolla sa peau de la sienne ! et s'avancèrent vers le bord de la dépression. Ils ne sautèrent pas dans le vide comme l'avait cru le petit Anjorien, mais San Francisco prit Jek sur ses genoux et se laissa glisser le long de la paroi, moins abrupte qu'elle n'y paraissait au premier abord.
L'ancien second du Papiduc prit soudain de la vitesse et ne put se maintenir plus longtemps en position assise. La glace rugueuse lui écorcha les fesses, le dos, les épaules et la nuque. Une saillie le fit subitement dévier de sa trajectoire. Jek lui échappa, roula sur lui-même et entama une folle glissade à l'issue de laquelle, quinze mètres plus bas, il percuta violemment le sol. Une épaisse couche de neige amortit sa chute mais, le souffle coupé par le choc, engourdi par le froid, il fut incapable de se relever.
« Ne reste pas immobile, Jek ! » glapit San Francisco.
Le Jersalémine s'était rétabli en souplesse à une vingtaine de mètres du petit Anjorien. Les gouttes de sang qui s'écoulaient de ses écorchures gelaient en quelques secondes. Phœnix, Robin et Marti atterrirent à tour de rôle sur le sol du cirque des Pleurs.
« Bougez ! Bougez ! dit-elle en aidant à se relever le vieux Syracusain, étourdi par sa chute.
A quoi bon ? soupira Robin. Nous ne retarderons l'échéance que de quelques secondes...
Un verset de la Nouvelle Bible dit : Vis, vis encore un jour, vis encore quelques minutes, vis encore quelques secondes : elles peuvent à tout moment se transformer en éternité... Alors bougez ! »
Robin sautilla sur place, davantage pour ne pas la froisser que par conviction personnelle. Ses pieds foulèrent la neige en cadence, mais ils ne lui appartenaient déjà plus, ils n'étaient que de lointaines et insensibles extrémités d'un corps décharné, d'un squelette enveloppé d'une peau flétrie, cassante.
Jek avait perçu la voix de San Francisco comme dans un songe, mais il n'avait ni la volonté ni la force de remuer ses membres. La neige épaisse constituait un matelas paisible, confortable et brûlant sous ses jambes, ses fesses et son dos. Cet état s'apparentait à un profond sommeil, à cette différence près que le petit Anjorien restait parfaitement lucide, parfaitement conscient qu'il ne reviendrait jamais de ce voyage. Une autre voix, intérieure celle-là, le suppliait de rassembler toute son énergie, de refuser le froid, de se relever. Il ne s'agissait pas de son instinct de survie, cette sirène d'alarme qui se mettait automatiquement à hurler dès que la mort s'approchait de trop près, c'était quelque chose d'indéfinissable, un bruissement de source, un murmure à peine perceptible et d'une puissance inouïe, un chant majestueux qui provenait des profondeurs de l'espace... Relève-toi et contemple le ciel, Jek...
Quelque chose le souleva de terre, lui effleura la joue, le dos, les épaules, le torse...
Contemple le ciel, Jek...
Il distingua des chuchotements, des gémissements, des cris qui semblaient traverser un mur d'eau.
Contemple le ciel...
Sa tête bascula sur le côté, et un feu timide lui lécha la tempe et la joue.
Le ciel...
Des ondes de chaleur lui transpercèrent le crâne et se diffusèrent dans son corps. C'est alors qu'il commença à éprouver vraiment le froid, l'insoutenable tiraillement de sa peau, l'atroce douleur qui gangrenait ses os, ses organes, ses muscles, qui se déposait dans ses doigts gourds, sous ses ongles. Tant qu'aucun adversaire ne lui était opposé, le froid se déployait comme une ombre silencieuse et ne se croyait pas obligé de tourmenter ses proies avant de les emporter. Mais il mordait, griffait, déchiquetait dès qu'il était confronté à la chaleur, son ennemie intime, qu'il devait abandonner un territoire qu'il croyait définitivement conquis.
La souffrance ranima Jek. Il ouvrit les yeux. Il aperçut d'abord des taches brunes, grises et noires qui s'agitaient au-dessus de lui. Les formes se précisèrent peu à peu. Pendant quelques secondes, il crut qu'il était agressé par une bête à trois têtes et six bras. Puis il reconnut San Francisco, Phœnix et Robin, affairés à lui gifler la tête et le torse. La sensation était curieuse de la différence entre la puissance manifeste des coups qu'ils lui assenaient et les infimes picotements qu'ils abandonnaient sur sa peau engourdie. Quelqu'un remua sous lui, et il se rendit compte qu'il était allongé sur Marti, lui-même étendu sur la neige.
« Il ouvre les yeux ! dit Phœnix.
Ne vous arrêtez pas ! rugit San Francisco.
A quoi bon ? A quoi bon ? » grommela Robin.
La poitrine de Phœnix tressautait à chacun des coups qu'elle portait. Un voile blafard se tendait sur sa peau cuivrée, hérissée, faisait ressortir le noir mat de sa toison pubienne et des rivières ondulantes de sa chevelure. Des écharpes de buée s'évadaient de ses lèvres violacées, gonflaient l'épais nuage de brume qui l'environnait. Ses gestes se ralentirent peu à peu.
« J'ai froid... Je n'en peux plus... gémit-elle.
Résiste ! l'exhorta San Francisco. Nous nous occuperons de toi dès que nous en aurons fini avec Jek ! »
Bien que son dos et son bassin fussent en contact permanent avec la neige, Marti restait imperméable au froid. L'autre avait simplement implanté une suggestion mentale de chaleur constante dans l'esprit de son véhicule corporel. Les humains n'avaient pas conscience des fantastiques potentialités de leur cerveau. Dispersés par les sens, ces fenêtres qui les invitaient sans cesse à visiter le monde extérieur, ils omettaient d'explorer et de maîtriser la machinerie complexe qui régissait leur intérieur. C'était dans cet oubli que s'étaient glissés les envoyés de l'Hyponéros, dans cette faille qui s'était élargie avec le temps et qui métamorphosait les hommes en créatures ordinaires, vulnérables. A force de l'occuper, l'autre ressentait ressentir n'étant qu'un concept approchant une certaine attirance pour son véhicule corporel. Ses données de pure logique avaient probablement été altérées par les émotions, les pulsions, les pensées de l'humain qu'il habitait. Il était victime de la fascination qu'exerçait le monde créé, la matière, les formes, les ondes, sur le vide. La peau de son véhicule touchait la peau de Jek, un humain-source, et ceci expliquait peut-être cela.
Ankylosée, épuisée, démoralisée, Phœnix se laissa tomber dans la neige.
« Relève-toi ! » hurla San Francisco.
Il avait beau puiser dans ses ultimes réserves de volonté, il ne percevait plus ses jambes et il comprenait que la fin était proche.
« A quoi bon ? » murmura une dernière fois Robin.
Le vieux Syracusain s'effondra à son tour. Ses grosses veines bleutées saillaient sous sa peau presque aussi blanche que la neige.
« Adieu et pardon, prince des hyènes... »
San Francisco se détourna de Jek et s'allongea de tout son long sur Phœnix. Il ne parvint pas à écarter les doigts raides de la jeune femme pour y enserrer ses propres doigts. Elle ouvrait encore les yeux et une amorce de sourire se figeait sur ses lèvres bleu pâle. Il emporterait avec lui l'image de son visage serein, égratigné, bouleversant de beauté... Un amour si fort qu'il traversera le pays de la mort... Un silence paisible recouvrait le cirque des Pleurs. Les lances mordorées de
Farfadet 4, le plus grand des quatre soleils des mondes néoropéens, embrasaient l'horizon.
Contemple le ciel, Jek...
Revigoré par la chaleur de Marti, le petit Anjorien leva les yeux sur l'azur éblouissant. Il vit alors la plaine céleste se couvrir de comètes aux somptueux panaches de feu.
Les gardes princiers n'en croyaient pas leurs yeux. Massés au bord de la faille, ils avaient assisté à la lente agonie des condamnés dont le vain combat contre le froid les avait franchement divertis. Ils avaient repéré les formes blanches des grands oursigres sauvages, qui émergeaient l'un après l'autre des replis des parois et se dirigeaient au trot vers les hommes offerts à leur insatiable appétit. Tout s'était déroulé comme prévu jusqu'au moment où les comètes étaient apparues en grand nombre, surgissant de nulle part, traçant des arabesques enflammées sur le ciel.
Ils percevaient maintenant des bruissements étranges, envoûtants, qui provenaient du vide insondable.
Les chants de l'espace, la danse des comètes...
Des dizaines de colonnes de lumière bleue descendirent lentement des nues et se posèrent sur le sol du cirque des Pleurs, qu'elles criblèrent de cercles scintillants.
Les vents de clarté...
« Bordel de merde ! souffla un garde. Les signes avant-coureurs !
Les xaxas devaient atterrir au cirque de l'Envol ! murmura un autre.
Il faut prévenir les abyns ! Turin, Amsterdam, Montevideo, prenez un glacieur et foncez jusqu'à Elian !
Je ne suis pas de ta tribu et je n'ai aucun ordre à recevoir de toi ! protesta le dénommé Amsterdam.
Je reste ici ! ajouta Turin. Je veux être là quand se poseront les xaxas...
Et tes parents ? Ta femme ? Ta fille ?
— De toute façon, nous n'aurons pas le temps de faire un aller-retour jusqu'à Elian. Selon la Nouvelle Bible, la halte des migrateurs célestes ne dure que quelques secondes... »
Un nuage sombre obscurcit soudain le ciel. Turin jeta son fusil sur le sol, retira ses bottes, sa combinaison, ses sous-vêtements de laine et entama immédiatement sa glissade le long de la paroi du cirque. Une dizaine de gardes l'imitèrent. Les autres, la mort dans l'âme, renoncèrent à leurs chances d'accéder à la Jer Salem de lumière et choisirent de rester en compagnie des leurs sur la Jer Salem de glace. Le peuple élu devrait patienter huit mille ans de plus...
Une formidable nuée de formes noires, bruissantes, se rassembla au-dessus de la dépression, occultant les rayons des Farfadets. L'éclat des colonnes de lumière bleue se fit merveilleux dans la nuit subite.
Les oursigres sauvages, comme affolés par l'obscurité, se lancèrent au grand galop sur la glace du cirque des Pleurs. Leurs pattes puissantes et griffues soulevèrent des gerbes de neige.
CHAPITRE XVIII
Tau Phraïm accomplit son premier miracle à l'âge de cinq ans. Il se cacha dans l'aquasphère de liaison qui ravitaillait l'île de Pzalion en produits de première nécessité, resta sept jours et sept nuits à fond de cale sans manger ni boire, puis débarqua clandestinement sur le quai du port de Koralion. Là, il se rendit au temple kreuzien et se glissa parmi la foule qui assistait à l'office hebdomadaire d'effacement. Il prit conscience de l'océan de tourments dans lequel les envoyés de l'Hyponéros plongeaient ses frères humains. Il décida donc d'effacer l'effacement. Il entra dans chaque esprit et le rétablit dans sa souveraineté. Ainsi remit-il ses frères humains sur le chemin de leur source. Alors ils ouvrirent les yeux et virent les Scaythes et les kreuziens tels qu'ils étaient en réalité : des êtres démoniaques, monstrueux, dont le seul but était d'anéantir les races humaines et le champ de la création. Ils pleurèrent amèrement sur eux-mêmes et le feu de la colère les embrasa.
Tau Phraïm vola l'aquasphère de liaison et retourna sur l'île de Pzalion. L'attendaient sa mère et les proscrits, que sa disparition avait attristés et inquiétés. Il les rassura par des paroles apaisantes, puis escalada le pilier de soutènement et s'en alla jouer avec ses amis les serpents de corail.
Les Neuf Evangiles d'Ephren,
« Faits et merveilles de Tau Phraïm »